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Education

Investissons dans le pouvoir transformatif de l’enseignement supérieur

 

Malgré ce que pensent les gens, nous, les économistes, ne sommes ni futurologues ni historiens. Cependant nous voyons des tendances que nous tentons d’interpréter avec objectivité, là où la subjectivité domine, et avec les (rares) outils que nous avons conçu pour examiner les (très nombreux) problèmes sociaux à traiter. Les nouveaux diplômés du supérieur entrent dans un monde extrêmement complexe et incertain. Comment s’assurer que nos étudiants s’accommodent de l’ambiguïté et s’épanouissent dans la diversité ?

 

Je suis entré à l’université en 1988. L’Irlande, mon pays d’origine, était à cette époque plongée dans la récession, avec un taux de chômage proche de 20 %, voire plus chez les jeunes, mais nous avions la soupape de l’émigration, solution bien connue de nombreuses générations d’Irlandais. Nous étions censés décrocher notre diplôme et partir. Nous acceptions cela, mais en partant du principe qu’être diplômé d’une bonne université nous permettrait de trouver un pays d’accueil et une carrière, de faire notre vie, et même, parfois, de rentrer à la maison.

 

Les étudiants d’aujourd’hui sont confrontés au défi de l’ambiguïté. Ils ont davantage de choix dans de plus nombreux domaines, mais ils vivent dans un monde qui se referme autour d’eux. Ils ont accepté l’idée qu’ils auraient peut-être plusieurs carrières et qu’ils se formaient à un type d’emploi qui serait peut-être éliminé par la mondialisation et les technologies.

 

Ils ne savent pas s’ils tireront avantage de leurs études. Dans de nombreux pays, ils se seront endettés pour décrocher leur diplôme et auront du mal à se loger dans les villes où les emplois se trouvent. Ils vont faire plus d’heures et travailler plus longtemps, et seront également confrontés à une concurrence plus rude : les marchés éducatifs précédemment peu développés, notamment en Asie, sont désormais pleinement opérationnels et produisent des diplômés de haut niveau. De fait, l’offre de diplômés n’a jamais été aussi importante.

 

Mais surtout, le monde ne leur appartient plus. Quels sont les pays très demandeurs de compétences dans lesquels ils peuvent avoir envisagé de démarrer leur carrière ? Les États-Unis ? Sont-ils désormais les bienvenus avec le slogan « America First » ? Le Royaume-Uni ? Le Brexit ne donne pas l’image d’un marché du travail aussi ouvert qu’avant. L’Australie, mon pays d’adoption ? Même ici, une grande réforme des visas des immigrés qualifiés se prépare.

 

Les jeunes qui entrent à l’université aujourd’hui ont commencé l’école au début du millénaire, et ceux qui entrent à l’école atteindront le lycée vers 2025 et l’université vers 2030. Pour ces générations, il est difficile d’imaginer comment les choses vont évoluer, notamment pour les étudiants de 2030. Il ne me semble pas que la situation géopolitique va radicalement s’inverser. Et même si la montée du nationalisme économique sera probablement tempérée par l’ouverture politique des 50 dernières années, le monde sera malgré tout plus petit, moins ouvert, plus divisé et plus incertain.

 

Dans ce contexte, en tant qu’universitaires, comment ce que nous enseignons, la manière dont nous l’enseignons et les liens que nous entretenons avec nos étudiants peuvent-ils les aider à atténuer certains de ces nouveaux risques auxquels ils sont et seront confrontés à l’avenir ? Peut-on veiller à ce que nos étudiants sachent s’accommoder de l’ambiguïté et s’épanouir dans la diversité ? L’ampleur des domaines d’études, l’apprentissage par l’expérience, le rapprochement entre les études et le monde du travail ne sont que quelques pistes envisagées, à juste titre, par les établissements du monde entier afin de mieux préparer les diplômés d’aujourd’hui.

 

Cependant, veiller à ce que les étudiants aient accès à des expériences qui les prépareront mieux à l’avenir ne constitue qu’une partie ce que signifie une meilleure « offre ».

 

Je pense que la plus grande mutation que les universités vont connaître sera d’accompagner leurs étudiants sur le long terme. Si nous croyons au pouvoir transformatif de l’enseignement supérieur, nous devrions, en tant que prestataires, être prêts à investir dans cet avenir et aider les diplômés à comprendre et à prendre les chemins que leurs compétences et leurs aptitudes en cours de développement leur permettent de suivre. La formation tout au long de la vie ne devrait pas être fondée sur le principe d’un retour aux études, mais bien plutôt sur l’idée que les études ne s’arrêtent pour ainsi dire jamais.

 

Ce processus, qui doit débuter dès l’inscription, suppose d’investir davantage tout au long du parcours universitaire et de proposer de nouveaux modèles d’apprentissage, par exemple en demandant aux étudiants de faire du bénévolat. Et cet investissement doit se prolonger lorsque les diplômés entrent sur le marché du travail, en faisant en sorte qu’ils perçoivent leur université comme un carrefour autour duquel leur vie et leur carrière évoluent.

 

Dans ce qui pourrait effectivement être un nouvel ordre mondial - plus étroit, plus fermé - nous devons veiller, en tant que prestataires d’enseignement, à ce que notre investissement individuel et collectif en matière d’éducation soit aussi transformatif que possible.

 

Compte Twitter : @colmharmon

www.colmharmon.com

OCDE (2017), Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2017 : Compétences et chaînes de valeur mondiales, Éditions OCDE, Paris

© L'Annuel de l'OCDE 2017

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Colm Harmon    Directeur du Département d’économie de l’Université de Sydney

© L'Annuel de l'OCDE 2017

 

 

 

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