Allocution à l’ENS : « Du Plan Marshall à la COP 21 - l’OCDE, un Acteur Global »

 

Remarques de M. Angel Gurría,

Secrétaire Général, OCDE

Paris, France

10 novembre 2015

 

 

 

Cher Monsieur Fréderic Worms, Directeur adjoint en lettres et sciences humaines de l’École normale supérieure, Professeur Prevelakis, Mesdames, Messieurs :

 

C’est un grand plaisir de m’adresser au public de l’École normale supérieure pour inaugurer le deuxième cycle de la série de séminaires « Géopolitique des organisations internationales ». Je tiens à remercier tout particulièrement le Professeur Georges Prevelakis, ancien Ambassadeur de Grèce auprès de l’OCDE et un ami cher, de m’avoir invité à m’exprimer devant vous aujourd’hui sur le thème « Du Plan Marshall à la COP 21 : l’OCDE, un acteur global ».

 

L’évolution de l’OCDE tout au long de ses presque soixante ans d’existence constitue l’un des chapitres les plus extraordinaires de l’histoire des relations internationales. Permettez-moi d’évoquer devant vous quelques-uns des jalons les plus marquants.

 

 

Une idée remarquable

 

L’OCDE est née d’une idée remarquable. Cette idée – brillante de simplicité et qui, de par sa diffusion, a véritablement ouvert une nouvelle ère  – était la notion de coopération. L’idée que la coopération économique pouvait prendre le pas sur les divergences politiques ; que la coopération économique pouvait asseoir les fondations d’une stabilité géopolitique et d’une prospérité partagée ; que la coopération économique était la clé d’un développement stable et durable. Tel était l’enjeu.

 

Ce fut autour de la même idée remarquable que Franklin Roosevelt et Winston Churchill ont bâti la Charte de l’Atlantique. Sur ce même terreau, Konrad Adenauer et Charles de Gaulle ont construit de nouvelles relations entre leurs peuples désunis. Schuman, Monnet et De Gasperi ont appliqué ce concept pour ériger les fondations de la Communauté européenne. Les auteurs des Accords de Bretton Woods ont donné à cette vision une expression monétaire et financière. C’est aussi d’une telle idée qu’est né l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, aujourd’hui l’OMC.

 

Mais nulle part, cependant, la notion de coopération internationale n’a trouvé une expression aussi claire et immédiate que dans le plan pour la reconstruction européenne annoncé par George Marshall à l’université Harvard en 1947. Les Européens allaient pouvoir reconstruire leurs pays et promouvoir le développement par la coopération économique. Et l’idée, chose prodigieuse, a fonctionné. En l’espace d’à peine une décennie, l’Europe avait atteint, voire dépassé, les niveaux de production et de prospérité d’avant la guerre. L’aide consentie dans le cadre du Plan Marshall a pris fin, mais l’idée de départ est restée aussi vivace que jamais. C’est de cette énergie qu’est née l’OCDE.

 

L’Organisation européenne de coopération économique (OECE), créée en 1948 pour administrer le Plan Marshall, a été élargie aux États-Unis et au Canada, rejoints peu de temps après par le Japon. La coopération a pris de nouvelles formes, s’est institutionnalisée pour devenir systématique, donnant naissance en 1961 à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : un lieu de rencontres internationaux pour les nations démocratiques dotées d’économies de marché ; un laboratoire de solutions et de normes internationales à l’usage des pouvoirs publics ; une plateforme multilatérale d’échange de bonnes pratiques au service d’une prospérité à long terme. Un vrai « do-tank » !

 

 

Une organisation multilatérale de pointe

 

L’objectif suprême de l’OCDE, de promouvoir le développement grâce à la coopération économique, était fondé sur un ensemble bien établi de principes : l’adhésion aux principes de l’économie de marché et la conviction selon laquelle les pays ont tout à gagner d’un environnement économique ouvert. Le libre échange des biens et des services, la libre circulation des capitaux et une concurrence internationale à la fois forte et équitable étaient la voie à suivre vers un développement économique soutenu et ont été, en conséquence, un axe constant des travaux de l’OCDE.

 

Pour ce faire, il fallait élaborer les meilleures politiques, ancrées sur des analyses solides, pluridisciplinaires et de grande qualité, et diffusée au travers d’un système unique en son genre d’apprentissage mutuel et de pression par les pairs. Cette démarche est vite devenue une caractéristique distinctive des travaux de l’OCDE : la conviction que toute politique devait s’appuyer sur des analyses rationnelles, rigoureuses et fondées sur des données concrètes.

 

À la fin des années 80, l’OCDE s’était déjà forgée une réputation mondiale, celle d’une source fiable d’analyses pluridisciplinaires des politiques publiques. Cette capacité a placé notre organisation dans une position idéale, au début des années 90, pour aider les pays de l’ancien bloc communiste dans leur transition vers l’économie de marché et accompagner les pays en développement dans leurs efforts de développement. L’adhésion dans les années 90 du Mexique, de la République tchèque, de la Hongrie, de la Corée et de la République slovaque a enrichi les approches de l’OCDE, mais a également renforcé sa sensibilité aux défis du développement.

 

À la fin du XXe siècle, la mondialisation et l’interdépendance complexe ont fait naître la nécessité d’une OCDE plus dynamique. Ça a déclenché un processus de réforme sans précédent au début des années 2000 qui avait pour but d’améliorer les méthodes de travail et les mécanismes de fixation des priorités de l’Organisation. La puissance économique dans le monde se déplaçait vers des économies émergentes de plus en plus importantes comme la Chine, l’Inde ou la Russie. Autant d’éléments qui exigeaient de revoir la mission de l’OCDE, son utilité et son vol dans l’espace géoéconomique. C’est à ce moment-là que je suis arrivé à l’OCDE.

 

 

Une pertinence renouvelée

 

Dès le début de mon mandat, en 2006, nous avons lancé une nouvelle stratégie pour accroître l’impact, l’inclusivité et la pertinence de l’OCDE au plan mondial. Mais à peine étais-je arrivé à l’OCDE qu’est survenue, et avec quelle virulence, la « plus grave crise de notre époque ». L’OCDE se devait de réagir vite, et c’est pourquoi nous avons mis en place un mécanisme de réaction rapide afin d’aider les pays à faire face à l’urgence de la crise. Parallèlement, nous savions que cette crise était un « game-changer », et que, pour paraphraser Albert Einstein, « nous ne pourrions résoudre nos problèmes en appliquant les mêmes raisonnements que ceux qui les avaient engendrés. » Nous avons donc recentré les travaux de l’Organisation pour aider les pays à bâtir les fondations d’un nouveau modèle de croissance au service d’une économie mondiale plus forte, plus saine et plus juste.

 

En l’espace de quelques mois, nous avons créé de nouveaux outils pour aider les gouvernements à déployer des réformes structurelles pour la croissance, l’emploi et le bien-être. Nous avons accru la stature politique de l’Organisation, pour en faire un espace où les dirigeants mondiaux viennent partager ses expériences sur les réformes structurelles. Nous avons contribué à des avancées majeures : par exemple, les réformes du travail en Espagne et en Italie ; la réforme fiscale au Japon ; douze réformes historiques au Mexique ; des réformes du secteur bancaire au Royaume-Uni et en Australie.

 

Nous avons aussi lancé une série de stratégies horizontales pour aider les pouvoirs publics à enclencher de nouvelles dynamiques au service d’une croissance plus résiliente, plus inclusive et plus durable : la Stratégie pour l’innovation ; la Stratégie pour la Croissance Verte ; l’Initiative pour la Parité pour renforcer l'égalité hommes-femmes ; ou encore la Stratégie pour le Développement. Nous avons également lancé des projets innovants comme nos travaux sur les chaînes de valeur mondiales ; le capital intellectuel ; la restrictivité des échanges de services et l’économie de l’internet. Et nous avons placé la question de la montée des inégalités au premier rang des priorités dont il est question à l’OCDE et nous en avons fait une constante des travaux de l’Organisation.

 

Nous avons aussi conforté l’OCDE dans son rôle d’instance mondiale d’établissement de normes dans la lutte contre la corruption, et en faveur de l’investissement, la conduite responsable des entreprises, la gouvernance d’entreprise, ou la fiscalité : ces dernières années, l’OCDE a réussi à mettre fin au secret bancaire, à faire de l’échange de renseignements sur demande une norme généralement acceptée à l’échelle mondiale, et à définir, dans le Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), un ensemble de mesures destinées à aider les pouvoirs publics à faire payer des impôts aux sociétés multinationales.

 

La crise nous a offert une occasion sans précédent de revoir et d’améliorer nos théories et nos modèles économiques de sorte qu’ils soient fructueux pour tous. C’est ainsi que nous avons lancé l’un des projets les plus révolutionnaires de l’histoire de l’OCDE, les Nouvelles approches face aux défis économiques (l’initiative « NAEC »), visant à mettre à profit les enseignements de la crise pour améliorer notre manière d’appréhender les défis à long terme et construire un Programme d’action sur la Croissance Inclusive. Nous voulons construire une économie mondiale plus équitable, plus humaine. Ce pour ça que l'OCDE a joué un rôle décisif dans la conception des objectifs de développement durable (ODD), et nous sommes maintenant idéalement placés pour être le «GPS» pour la mise en œuvre de ces objectifs.

 

La transition vers des économies vertes est devenue l’un de nos plus hautes priorités. Dans la lutte contre le changement climatique, nous aidons les pays à faire en sorte d’amener à zéro les émissions nettes de CO2 au cours de la seconde moitié du siècle, de réduire les subventions énergétiques et la consommation de charbon et d’évaluer l’efficacité des mesures d’atténuation. Nous apportons en outre notre concours aux préparatifs de la COP21 en faisant part de nos analyses et de nos recommandations sur des dossiers tels que la transition vers une économie bas carbone, l’investissement et le financement, l’adaptation « intelligente », la politique des transports, l’agriculture et le climat, la tarification du carbone, les énergies renouvelables, pour n’en citer que quelques-uns.

 

Nous savons que la seule voie pour progresser sur ces sujets est celle qui passe par une coopération multilatérale plus inclusive et par une gouvernance mondiale plus efficace. C’est pourquoi nous avons entamé un processus d’ouverture de l’Organisation à cinq nouveaux membres : le Chili, l’Estonie, Israël, la Russie et la Slovénie (qui tous sont devenus membres à part entière, à l’exception de la Russie). Aujourd’hui, la Colombie et la Lettonie sont en processus d’adhésion, et le Costa Rica et la Lituanie, mettent tout en œuvre pour une prochaine décision. Ce processus a été complété par le lancement des programmes et initiatives régionaux avec l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine, l’Afrique, le Moyen-Orient.  

 

Toutes ces efforts nous ont gagné une place centrale dans l’architecture de la nouvelle gouvernance mondiale. Depuis qu’elle a été invitée par le Président Obama au Sommet du G20 de Pittsburgh au tout début de la crise, l’OCDE n’a cessé d’aider le G20 à bâtir le cadre d’une croissance forte, durable et équilibrée et à avancer dans des domaines comme la fiscalité, l’emploi, l’égalité homme-femme, la corruption, l’agriculture, les chaînes de valeur mondiales, les subventions aux combustibles fossiles, et bien d’autres encore. Nous nous sommes en outre montrés plus présents auprès du G7, du Partenariat de Deauville, de l’APEC, de l’Alliance du Pacifique et d’autres enceintes régionales ou mondiales.

 

Mesdames et Messieurs,

 

« L’intelligence est la capacité de s’adapter au changement » : ces mots du grand physicien anglais Stephen Hawking pourraient s’appliquer à l’évolution de l’OCDE et à sa montée en puissance à l’échelle mondiale. L’OCDE, passée de l’idée remarquable de coopération qui l’a fait naître, à sa mission actuelle de concevoir des politiques meilleures pour une vie meilleure, jadis considérée comme un « club de pays riches » mais devenue à présent un « do-tank » et la maison de « best practices », affirmée comme un acteur de premier plan sur la scène internationale. Cette transformation nous conte une histoire fascinante, porteuse d’un message puissant : un monde meilleur est possible, si nous unissons nos efforts. Et c’est ce message que j’aimerais vous voir retenir aujourd’hui.

 

Je vous remercie de votre attention.

 

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